Historique du pont Noir

Historique du pont Noir 

Lors des trois premiers quarts du 19e siècle, la région de l'Outaouais n'avait pas encore de ligne de chemin de fer. À partir de 1854, la ville de Hull était approvisionnée en marchandises commerciales principalement par l'entremise du chemin de fer Bytown and Prescott [1]. Cette voie ferroviaire reliait Ottawa (Bytown) à Prescott, petite ville d'Ontario située aux abords de la frontière américaine. Les entrepreneurs de l'Outaouais, pour vendre ou acheter leurs produits, étaient ainsi contraints de commercer majoritairement avec l'Ontario et les États-Unis.

Au début des années 1850, un premier projet visant à unir par voie ferroviaire les villes de Hull et de Montréal était mis sur pied. Or, après la construction d'une section du chemin entre Carillon et Grenville, la mort accidentelle du principal entrepreneur de la route mit prématurément fin aux travaux de construction [2].

Environ deux décennies plus tard, la compagnie de chemin de fer « Québec, Montréal, Ottawa et Occidental » vint réanimer ce projet d'union ferroviaire. La compagnie réussit à s'organiser en allant chercher une aide financière publique. Le gouvernement du Québec s'engagea à financer la construction de la voie ferrée, en s'assurant d'un appui financier des comtés et des municipalités concernées [3]. Pour sa part, le comté de l'Outaouais souscrit 200 000 $ en faveur du projet de construction [4]. La ligne de chemin de fer entre Hull et Montréal fut complétée en 1877. La gare de Hull, située sur la rue Montcalm, en était le terminus jusqu'en 1879 [5].

Pour traverser la vallée de l'Outaouais, la route ferroviaire devait nécessairement enjamber divers cours d'eau, dont la rivière Gatineau, afin de joindre Pointe Gatineau à Hull. Le pont ferroviaire passant au-dessus de la rivière Gatineau a été construit avec de l'acier provenant d'usines de Pittsburgh. Sa structure métallique est supportée par de larges piliers en pierres installés au milieu de la rivière. Ce pont, qui ne reçut jamais de nom officiel, est aujourd'hui appelé communément « pont Noir ».

Pendant les 19e et 20e siècles, le pont Noir était l'unique liaison de transport ferroviaire entre les rives de Gatineau et de Hull. En effectuant des allers-retours entre la gare de Montréal et celle de Hull, tous les trains empruntaient ce pont. Cette infrastructure faisait partie d'un réseau ferroviaire ayant joué un rôle primordial dans le développement économique de la région de l'Outaouais. Le chemin de fer permettait d'acheminer vers Montréal tout le commerce du nord de l'Outaouais, ce qui favorisait pour cette région la croissance du commerce agricole et, surtout, de l'industrie forestière. À partir de 1877, les producteurs de bois de sciage de l'Outaouais (principalement ceux possédants des moulins à Hull) qui exportaient jusqu'alors la majorité de leur bois vers les États-Unis avaient désormais l'opportunité d'expédier rapidement leurs produits vers les acheteurs de Montréal. Le pont Noir et son chemin de fer avaient ainsi pour effet d'élargir considérablement le bassin d'acheteurs pour les marchandises commerciales produites en Outaouais. Par ailleurs, les entrepreneurs de la région pouvaient désormais se tourner vers la métropole québécoise pour se procurer plusieurs marchandises (matériaux, machines ou autres) nécessaires au fonctionnement de leurs entreprises. Bref, ils n'étaient plus limités au commerce ferroviaire effectué avec l'Ontario et les États-Unis.

En plus des trains de marchandises, plusieurs trains de passagers effectuaient fréquemment des voyages entre Montréal et Hull, ce qui permettait aux habitants de l'Outaouais de bénéficier d'une voie de transport rapide entre la métropole et l'Outaouais.

Ainsi, le financement public qui avait été octroyé pour la construction du chemin de fer était considéré par le comté de l'Outaouais tel un investissement qui allait avoir des répercussions bénéfiques pour sa région pendant de nombreuses années. Le pont noir et le chemin de fer assuraient une meilleure mobilité de la population, en plus de faciliter l'activité commerciale et industrielle en Outaouais.

Texte par Adrien Joanis-Sirois, historien.

[1] Lucien Brault, Hull, 1800-1950, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1950, p. 124.
[2] Joseph Tassé, La Vallée de l'Outaouais : sa condition géographique, ses ressources agricoles et industrielles, ses exploitations forestières, ses richesses minérales, ses avantages pour la colonisation et l'immigration, ses canaux et ses chemins de fer, Montréal, Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur, 1873, p. 54.
[3] " Résolutions importantes ", Le courrier du Canada : journal des intérêts canadiens, 29 janvier 1878.
[4] Joseph Tassé, op. cit., p. 55.
[5] Lucien Brault, op. cit., p. 125.